Toiles locales, toiles exotiques dans les coffres des paysans vannetais aux 17e et 18e siècles

Les vêtements des paysans sont fabriqués, aux 17e et 18e siècles dans la région de Vannes, à partir de toiles de lin, de chanvre, de laines, de draps, de tissus rares et précieux dont l’origine est plus ou moins précise.

La présence des tissus dans les inventaires après décès paysans nous renseigne sur les échanges commerciaux à l’échelle locale entre les villes du Vannetais, à l’échelle continentale avec les îles Britanniques, l’Irlande, les Pays-Bas ou à l’échelle mondiale avec les Indes. La richesse paysanne se matérialise par le nombre de draps, de vêtements mais aussi par la rareté et la richesse des matières possédées. Draps de Londres, Toiles de Nîmes, Indiennes, Mousseline nous font voyager !

« Quand la toile va »

La toile, qui connait une industrie florissante en Bretagne au 17e siècle, est de fabrication paysanne ou locale. Jean Tanguy utilise l’expression « Quand la toile va, tout va » dans son ouvrage de référence pour insister sur la croissance économique liée à cette industrie en Bretagne.

Les toiles de chanvre sont nombreuses dans les inventaires après décès. La culture du chanvre mobilise la communauté paysanne d’avril à juillet. Les Fileries, assemblées où l’on file le chanvre, Filaj, sont au cœur de la vie paysanne. L’Eglise, qui craint les débordements qui s’y produisent, condamne ces réunions et dénonce comme le fait Cillard de Kerampoul « une source de grand dérangement de la jeunesse à la campagne » (voir article “Débraillées”). Le vin, l’atmosphère de fête, font de ces veillées un moment de rencontre, de sociabilité de la culture paysanne et… de séduction entre les jeunes.

Nous citerons l’extrait des Contes et récits d’Entrapel de Noel du Fail. Pendant la filerie, le jeu consiste à ce que les filles, assises en hauteur, laissent tomber leur quenouille pour que les garçons les ramassent en échange d’un baiser, en regardant sous leurs jupes :

« Les filles, d’autre part, leurs quenouilles sur la hanche, filoient : les unes assises sur un lieu plus élévé, afin de faire gorgiasement pirouetter leurs fuseaux. Que si par fortune le gros Jean, Robin, ou autre monstroient aux jeux qu’ils menoient le haut de leurs chausses à découvert, ce n’étoient pas les dernières à rire à gorge déployée ».

La toile de lin, issue de la culture de la graine de lin, importée en Bretagne seulement à partir du 16e siècle, est un marqueur de richesse. Elle est plus rare, plus précieuse dans le coffre paysan.

La toile de Reparon, « une toile grossière fabriquée avec les déchets provenant du travail (peignage et teillage) de la tige de lin et de chanvre », est très courante pour les chemises. En 1733, Jean-Baptiste Gallois de La Tour, traverse la Bretagne et nous livre un récit de voyage. Il est intendant et s’intéresse particulièrement à l’industrie textile. Il remarque, lors de son passage à Baud, qu’ « il se fabrique quelques toiles appelées de Reparon pour l’usage du pays, elles se vendent aussi aux foires et aux marchés ».

Les Lainages

Les termes utilisés pour désigner les tissus de laine sont les suivants : Serge, Baguette, Bure, Castors, Reveches, Ras, Ratine, Droguet. Nous définirons ces termes dans le lexique, mais l’idée est d’attirer l’attention du lecteur sur la très grande variété de lainages disponibles. Les tissus de laine sont peu estimés par les notaires. La laine, contrairement au lin, est considérée comme une matière paysanne et populaire. On peut imaginer que les vêtements de travail quotidiens sont de chanvre et de lainages, alors que les vêtements de fêtes sont de « draps », matière plus noble, estimée plus chère par les notaires.

Les Draps

Le terme draps est utilisé ici pour désigner un textile identifié par sa provenance.

A l’échelle locale, on peut citer le drap d’Incart (de laine cardée), de Groutel, que Gallois de La Tour décrit. Dans la région de Vannes Auray : « Il s’y fabrique quelques toiles de grosses étoffe à l’usage du pays appelées drap de Groutel dont les villageois se servent pour leur habillement ; Il n’y a aucune manufacture d’étoffe ou de toile, un homme seul avec son fils fabrique 5 à 6 pièces d’un gros drap nommé Groutel qu’il débite à l’aune ». Il ne s’agit donc pas d’une industrie structurée mais d’un artisanat local. D’autres régions ou appellations françaises apparaissent dans les inventaires après décès : draps de Falaise, de Maurequin, de Vire, de Nîmes, de Josselin, de Nantes.

Les draps anglais sont fréquemment utilisés à la fin du 17e siècle : drap de Londres, petit Londres, Carisé d’Angleterre, Hautone (déformation de Southampton), Frise d’Irlande. Ces draps servent essentiellement dans la fabrication des vestes, des brassières et des tabliers, les pièces les plus coûteuses du costume.

En 1687, Jeanne Ezanno, à son décès à Carnac, possède : « un manteau de petit Londres gris tout neuf estimé 7 livres 10 sols, un justaucorps de petit Londres (…), une paire de brassière de Londres rouge usée (…) ».

Les draps d’Angleterre sont plus rares au 18e siècle, car la monarchie met en place à cette époque des mesures économiques protectionnistes pour favoriser les toiles françaises.

Louis Caradec, Le pardon des oiseaux à Plougastel-Daoulas, vers 1850 [coll. privée, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

Tissus mêlés, tissus précieux, tissus lointains….

La Berlinge, étoffe mêlée de laine et de chanvre, est très présente dans les archives. C’est une étoffe très épaisse, solide et domestique.

Les mentions de tissus précieux sont plus rares mais pas exceptionnelles : taffetas, velours, mousseline, satin, flanelle.

Les rubans sont régulièrement cités. Cillard de Kerampoul, dans son dictionnaire, rapporte : « A Rhuys, il y a pour chaque noce, douze convieuses, magnifiquement habillées et parées de rubans, qui vont deux par deux pour prier les parents ou les amis ».
En 1787, dans l’inventaire après décès de Jean Le Port et Clemence Le Guellec de Quiberon, on relève entre autres : « une chemisette d’étamine violette, un tablier d’Indienne, un tablier de Mousseline, un tablier de cotonine, un tablier de taffetas noir ». Le notaire prend le temps d’énumérer les textiles précieux, de déterminer les couleurs avec soin dans cet inventaire où l’ensemble des vêtements du couple est estimé à plus de 100 Livres sur environ 300 Livres de patrimoine.

Les « indiennes », tissus de coton colorés ou peints provenant des comptoirs indiens au 17e siècle, attirent notre attention. Officiellement très coûteuses, elles sont réservées à l’exportation hors de France jusqu’en 1760 ou à la noblesse et à la bourgeoisie, mais on les découvre aussi dans les coffres paysans sur le littoral dès le 17e siècle.

La Compagnie des Indes organise, depuis Lorient-Port-Louis, les échanges maritimes avec les comptoirs commerciaux d’Afrique et d’Asie. Les toiles de coton font partie des cargaisons rapportées par les navires de la Compagnie. Rares, précieuses, les Indiennes ou les Mousselines — toiles de coton légères — ont vocation à la fin du 18e siècle à être vendue à des marchands drapiers et ensuite à la noblesse à la fin du 18e siècle.

Cependant, les marins de la compagnie ont le droit de rapporter quelques marchandises et de les vendre ou de les offrir, c’est le droit de pacotille. Ces toiles colorées, légères, à motifs variés, font ainsi l’objet d’un commerce ou troc parallèle sur le littoral. Les mères, sœurs, femmes de marins les utilisent pour leurs tabliers de fête. Sur ce thème, voir l’excellent article de Margoline-Plot, Eugénie. « Les circuits parallèles des toiles de l’océan Indien. Lorient au XVIIIe siècle », Histoire urbaine, vol. 30, no. 1, 2011, pp. 109-125.

Nous ignorons si ces textiles pénètrent dans les terres et dans l’arrière pays.

Il existe aussi une industrie des toiles de coton en France à partir de 1740.
En 1786, la pauvre Guillemette l’Ascournec, noyée lors d’un naufrage et enterrée sur Houat porte sur elle « ses hardes, à savoir une brassière noire, une autre bleue, une jupe bleue, une autre jupe brune, sa coiffe, un tablier d’Indienne à fleurs rouges, un paire de souliers… ». Il s’agit d’un retour de pardon, d’habits de fêtes, mais l’attention portée à la description des fleurs rouge a toute son importance. Le tablier, portée par la jeune femme de 16 ans, est une pièce de grande valeur, unique.

La grande variété et richesse des textiles utilisés par les paysans bretons aux 17e et 18e siècles, nous permet de comprendre l’importance des vêtements dans la société basse-bretonne à cette période.

Les circuits commerciaux des tissus intègrent la région vannetaise dans des échanges beaucoup plus vastes à l’échelle de l’Europe, des Indes dans une première Mondialisation.

Les influences sur les vêtements sont donc multiples et d’origines lointaines, très loin de l’image d’une paysannerie repliée sur elle-même, sur le village. 


Citer cet article : Mouret S. (2018). Toiles locales, toiles exotiques dans les coffres des paysans vannetais aux 17e et 18e siècles. Blog Culture(s) de Bretagne [en ligne]. Mise à jour le 14 octobre 2018. URL : https://www.bretagnes.fr/cultures-bretagne/toiles-locales-toiles-exotiques-dans-les-coffres-des-paysans-vannetais

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