Débraillées…. ! Le corps féminin et le clergé dans le Vannetais au 18 siècle

Notre source principale est le Dictionnaire français-breton ou français-celtique du dialecte de Vannes, écrit par Cillard de Kerampoul et publié à Leide en 1744.

L’abbé, en définissant les mots du quotidien, utilise des réflexions moralisantes. C’est un prêtre et un esprit de son temps, deux raisons qui l’invite à se méfier particulièrement des femmes et de leurs corps.

Taolennou, le miroir du Monde. Carte pour atteindre le Paradis conçue par Michel le Nobletz, vers 1636 [Musée Départemental Breton de Quimper, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

En effet, il faut imaginer le combat qui se joue dans les campagnes aux 17e et 18e siècles.

Le Clergé breton a pour mission d’imposer les valeurs strictes de la Contre-réforme Catholique. Les corps, les vêtements, la sexualité des femmes sont au cœur de la moralisation de la société. Dans une société paysanne, où les corps devaient être assez libres à l’époque médiévale et au début de l’époque moderne, la tache est difficile.

Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les travaux de S. Duhem sur les sablières sculptées des églises et de lever les yeux sur certaines de ces représentations pornographiques assez improbables dans une chapelle ou église bretonne (voir Impudeurs et effronteries dans l’art breton XVe-XVIIIe siècle, 2012).

Comme souvent, le corps de la femme est l’enjeu de la moralité de la paroisse, du groupe, de l’autorité du recteur et du catholicisme.

Etre « modeste » ou « immodeste », c’est respecter ou s’opposer à l’ordre social. Il y a donc des « tenues modestes », des « couleurs morales » et à l’inverse des vêtements et des couleurs qui choquent les recteurs.

Les ordonnances synodales — textes qui imposent la norme catholique auprès du clergé — insistent très régulièrement sur les attitudes vestimentaires. Elles sont si souvent réaffirmées que l’on comprend que ces (nouvelles) normes morales ne sont pas bien respectées par les paysans.

Elles le seront seulement au 19e et 20e siècles.

À l’article « débrailler » rédigé par l’abbé (tout un programme), on trouve : « Les femmes de la campagne qui vont partout le sein couvert seulement de leur chemise, ne sont pas modestes. On est dans l’obligation de faire confusion à ces vilaines effrontées ». A l’église, c’est pire : « Les campagnardes, au lieu de détrousser leur jupe en entrant à l’église, la trousse immodestement pour se mettre à genoux ».

À l’article « brassières », l’abbé mentionne : « Depuis 1732, les personnes du sexe [féminin (ndla)] ont, à Grand-Champ, commencé à lacer ou fermer modestement leurs brassières ». La date fait sourire, un nouveau recteur plus strict est-il arrivé à Grand-Champ à cette période précise ? Le degré de fermeture des brassières de ses paroissiennes est, vraisemblablement, un aspect visible de l’autorité du prêtre sur sa paroisse.

Taolennou, le miroir du Monde. Carte pour atteindre le Paradis conçue par Michel le Nobletz, vers 1636 (détail) [Musée Départemental Breton de Quimper, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

Cette pression du clergé va avoir de nombreuses conséquences.

Les couleurs morales, qui ne transgressent pas, s’imposent : le bleu, le gris et surtout le noir — d’abord en ville puis dans les campagnes. 

Le noir incarne la modestie, l’austérité, la pudeur. Mais nos paysannes résistent : elles portent des couleurs vives, des motifs colorés des Indiennes, des rayures jusqu’au 18e siècle !

Les planches d’H. Lalaisse vers 1850 et de Charpentier témoignent encore d’une grande variété vestimentaire. Si pour les vêtements de cérémonie, le costume sur fond noir devient la norme au début du 20e siècle, on imagine les vêtements de travail, disparus aujourd’hui, plus colorés et variés aux 18e et 19e siècles.

Les corps féminins se cachent : les cols et mouchoirs couvrent au 19e siècle, le cou, les épaules, la poitrine de la femme. Seule la coiffe se fait moins couvrante, mais attention à l’indécence des « femmes en cheveux ».

Le vêtement paysan breton devient un rempart, à la fin du 19e et au début du 20e siècle, contre les modes urbaines, les garçonnes aux cheveux courts et les jambes nues qui incarnent la libéralisation des mœurs.

D’où l’attachement d’une partie du clergé au « Costume Breton » qui représente les valeurs chrétiennes, ancestrales, du groupe paroissial face à un exode rural violent et à la déchristianisation. D’où l’attachement de la République à ce que les fonctionnaires quittent leurs costumes communautaires, voire portent des uniformes : blouses pour l’institutrice, uniforme pour la factrice, …

Un combat entre l’ancien et le moderne, au cœur duquel le corps féminin prend toute sa place.

Taolennou, le miroir du Monde. Carte pour atteindre le Paradis conçue par Michel le Nobletz, vers 1636 (détail) [Musée Départemental Breton de Quimper, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

Mais, cette vision binaire est trop réductrice.

Il existe bien des nuances au 20e siècle entre l’ancien et le moderne, dont témoignent les photographies de famille, les cartes postales.

Les paysannes intègrent des éléments de modernité dans leurs tenues en permanence : longueurs de la jupe, décolletés, coiffure, tissus, écharpes, épingles, et autres originalités — sans demander l’autorisation au recteur…

Question passionnante que l’identité vestimentaire féminine : est-ce l’histoire d’une femme dominée par la norme et la société, d’une femme qui s’adapte à ces normes en les contournant, ou qui résiste, qui transgresse ?

Quelle part d’influence sociale, collective sur le corps des femmes, quelle part de choix individuels, d’initiative personnelle dans le vêtement porté quotidiennement ?


Citer cet article : Mouret S. (2018). Débraillées…. ! Le corps féminin et le clergé dans le Vannetais au 18 siècle. Blog Culture(s) de Bretagne [en ligne]. Mise à jour le 22 septembre 2018. URL : https://www.bretagnes.fr/cultures-bretagne/debraillees-le-corps-feminin-et-le-clerge-dans-le-vannetais-au-18-siecle

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