Faire revivre le quotidien des paysans bretons : inventaires, partages, ventes aux 17e et 18e siècles
September 26, 2018Les actes notariés nous permettent d’approcher au plus près la vie quotidienne des paysans bretons.
Il est très émouvant de constater que les familles paysannes conservent précieusement, aux 17e et 18e siècles, quantités d’actes sur papier timbré délivrés par les notaires, alors qu’ils ne savent pas lire.
Lors d’un décès, le notaire accompagné de témoins dignes de confiance et du recteur, procède à l’inventaire précis des biens.
Prenons un exemple, celui de Louis LE ROUX, décédé en 1761 à Langonnet : il a 30 ans lors de son décès, est marié avec Marie dont il a eu un fils, Vincent. Son inventaire après décès rédigé par Maitre Pierre Rustuel, notaire royal (merci !), nous permet de décrire les conditions de vie d’un paysan assez aisé au milieu du 18e siècle. Son patrimoine est estimé à 384 Livres au total. (Pour rappel 1 Livre = 20 sols. Voir article coiffes pour avoir des repères de référence).
Se nourrir
Les ustensiles de cuisine et les cultures cultivées nous renseignent sur l’alimentation.
Une poêle à frire, une poêle à crêpes, une marmite, quelques cuillères en bois, un ribot avec son bâton, une jatte, deux bouteilles de verre composent la vaisselle.
Le seigle et le blé noir compose la base alimentaire.
Louis étant décédé avant la récolte, ce sont donc les cultures encore en terre qui sont évaluées par le notaire, « un journal de terre sous blé noir estimé 24 Livres ».
La « maie à pâte en bois » permet la fabrication du pain.
Ils boivent du lait de chèvre, et disposent du lait de deux vaches laitières pour la fabrication du beurre et la boisson.
Les poules et petite basse-cour, les cochons sont rarement mentionnés car peu coûteux.
Louis, Marie, Vincent consomment du miel, le couple dispose de 3 ruches.
Dormir, se vêtir, se laver
Le couchage et le textile représentent un patrimoine important, environ 36 Livres pour 3 personnes ; il s’agit de « deux couchettes de balle estimées 15 Livres chacune », sorte de matelas qu’on posait sur un banc ou au sol, garnis de traversins. Ils sont réservés aux adultes. Vincent, leur fils, dort sur une couette plus modeste.
Les draps, ou linceuls, sont souvent assez nombreux. Ils sont fabriqués par le ménage qui cultive le chanvre et dispose de tous les outils nécessaires (peignes, marre…).
Les vêtements de Louis et de son épouse, Marie, sont estimés pour 18 Livres mais non détaillés.
Le couple possède « deux petits bassins d’airain », deux bassines en métal, utilisées pour la toilette. Ils sont estimés 12 Livres, ce qui est suffisamment cher pour être remarquable. Le mobilier se compose d’une dizaine de coffres en bois, d’une chaise.
Travailler
Les outils pour le bois sont nombreux (lard, tarière) conservés dans « une table coulante », c’est-à-dire un coffre dont la partie supérieure, mobile, sert de table.
Les outils pour le travail de la terre (serpes, haches, fourches…) sont eux aussi nombreux.
Mais surtout, Louis Le Roux possède une forge « grossière », d’appoint : enclume, soufflets, marteaux sont estimés 60 Livres, soit 1/6eme de son patrimoine. C’est une mention assez rare car les inventaires après décès concernent plus souvent des hommes âgés, qui ont peut-être cessé cette activité, qui demande de la force.
La charrette, moyen de locomotion est estimées 9 Livres.
Enfin, c’est surtout le cheptel qui fait la fortune paysanne : « deux vaches garre-noires » estimées 60 Livres servant à tirer la charrue, fabriquer le beurre, une (très vielle) « jument noire hors d’âge » estimée 1 Livre pour tirer la charrette et « une vieille chèvre estimée 2 Livres 5 sols ».
Les papiers
Louis et Marie ne savent ni lire, ni écrire comme l’affirment les mentions récurrentes sur les actes de baptême de leur fils ou sur leur acte de mariage, mais ils conservent des actes notariés papiers dans un coffre spécial. Le notaire les inventorie : un contrat de vente de (droits sur la) terre à 150 Livres que Louis a acheté à ses cousins et une quittance de remboursement de 86 Livres, le reste restant à payer ?
Transmettre
Une fois inventoriés, les biens du défunt peuvent faire ensuite l’objet d’un partage ou d’une vente.
Dans le cas de Louis Le Roux, c’est sa veuve qui est tutrice des biens de son fils jusqu’à ses 25 ans — âge de la majorité selon la Coutume de Bretagne. De nombreux enfants demandent d’ailleurs leurs émancipations à l’âge de 20 ans pour profiter de leurs biens matériels.
Partages de successions et ventes sont deux actes passionnants rédigés par le notaire car ils réunissent les autres membres de la famille ou du village.
Autre exemple, dans la vente organisée après la mort de Pierre Stephan en 1712 à Langonnet, on constate un assez grand nombre d’acheteurs, voisins ou famille éloignée. Le notaire estime et décrit à nouveau les objets du quotidien ayant appartenu au défunt. Une certaine Marie Chauvin achète « un manteau à femme pour 6 livres, deux jupes rouges, un tablier, quatre coiffes… ».
Une source riche qui nous permet souvent de reconstituer l’entourage proche d’un individu.
Citer cet article : Mouret S. (2018). Faire revivre le quotidien des paysans bretons : inventaires, partages, ventes aux 17e et 18e siècles. Blog Culture(s) de Bretagne [en ligne]. Mise à jour le 26 septembre 2018. URL : https://www.bretagnes.fr/cultures-bretagne/faire-revivre-le-quotidien-des-paysans-bretons-inventaires-partages-ventes-aux-17e-et-18e-siecles