Les couleurs de vêtements paysans aux 17e et 18e siècles

Nous devons imaginer que les paysans bretons sont particulièrement attachés aux couleurs vives et variées. Les sablières, statues et mobiliers polychromes en témoignent, mais les vêtements colorés ont disparu. 

Sablière, Notre-Dame-de-Crenenan en Ploerdut, 17e siècle [coll. G. Prudor, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

Le nantais Babin, en 1663, lors de son voyage en Basse-Bretagne, note : « Ils affectent de se distinguer par les couleurs, qui sont particulières à chaque évêché. Ceux de Cornouaille ont leurs petites casaques, les bas et leurs bonnets rouges, ceux de Léon s’habillent de bleu ; ceux de Tréguier portent ordinairement le violet. Ces couleurs ne leur sont pas moins naturelles que leur langue et ils y ont autant d’attache qu’au vin ». (Cité par Y. Gallo, voir bibliographie)

Dans les inventaires après décès, les notaires — dès le 17e siècle — décrivent soigneusement toutes sortes de couleurs vives. Nous devons imaginer des chemises et jupons clairs, blancs ou lin naturel sur lesquels sont superposées les pièces majeures : brassières, jupes et tabliers de couleurs vives pour les femmes, gilets, vestes, bragou pour les hommes.

Taolennou, le miroir du Monde. Carte pour atteindre le Paradis conçue par Michel le Nobletz, vers 1636 [Musée Départemental Breton de Quimper, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

A Carnac, on trouve de très nombreuses pièces de vêtements rouges masculins et féminins.

En 1681, sur l’ensemble des vêtements étudiés à Auray portant une mention de couleur, on constate la répartition suivante :

Le Blanc apparaît en premier et concerne les chemises, les coiffes, les chaussettes, les vestes mais aussi les culottes (bragou) et jupes, il compose le « fond » du costume. On ignore si, pour le notaire qui décrit les vêtements, c’est un « vrai » blanc, ou la teinte naturelle blanc cassé du lin, de l’étoupe, du chanvre.

Les Rouge/ Bleu/ Gris/ Noir concernent les vestes, les brassières (vestes-gilets pour femme), tabliers, jupes, souvent des pièces plus chères et plus importantes du vestiaire. Il s’agit de textiles teints, choisis et portés selon une « mode » paroissiale et selon des choix individuels. Nous intégrerons donc le Noir dans la catégorie « couleur ».

Dans les inventaires après décès, dès 1715, on constate un changement majeur : le Rouge diminue au profit de couleurs morales comme le Bleu, le Blanc, le Gris. M. Pastoureau — historien des couleurs — précise : « La Réforme protestante puis l’action de la Contre-Réforme répandent des systèmes de coloration nouveaux entièrement construits autour d’un axe noir-gris-bleu ». Ce sont les couleurs « morales », qui incarnent la sobriété, l’humilité qui sont à présent valorisées par les sociétés et le clergé. « Il y a un nouvel ancien bleu, ce bleu moralisé, ce noir qui n’ose dire son nom. C’est un bleu convenable, la seule couleur « en couleur » qui ne transgresse ni l’ordre social, ni le nouvel ordre des couleurs : il trouve même sa place, en différents paliers, sur l’axe noir-gris-blanc ! On y recourt dans presque tous les domaines de la vie quotidienne, à tous les échelons de la société, même en pays catholiques » (voir bibliographie).

Le clergé breton diffuse la Contre-Réforme et influence le choix des couleurs et des formes du vêtement paysan.

Ainsi entre 1715 et 1725, à Auray, on voit la répartition suivante :

Le Rouge recule au profit du Blanc et du Bleu. Notons les 20% tout de même d’autres couleurs (jaune, vert, violet, rayures…).

Pour Carnac, on peut avancer un profil vestimentaire masculin et féminin type vers 1680 : les femmes portent plusieurs brassières (vestes) rouges ou blanches, plusieurs jupes rouges ou bleues avec des tabliers noirs et un manteau vert (« une mante verte façon de Flandres ») ; les hommes superposent plusieurs gilets rouges ou blancs sur des vestes rouges ou noires. Les bragou sont gris.

Un paysage vestimentaire de costumes colorés sur fond blanc très loin de celui que nous connaissons à la fin du 19e siècle marqué par le noir !


Citer cet article : Mouret S. (2018). Les couleurs de vêtements paysans aux 17e et 18e siècles. Blog Culture(s) de Bretagne [en ligne]. Mise à jour le 22 septembre 2018. URL : https://www.bretagnes.fr/cultures-bretagne/les-couleurs-de-vetements-paysans-aux-17e-et-18e-siecles

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