Le neuf, l’usé : vie et usure du Vêtement aux 17e et 18e siècles

Quelle est la durée de vie d’un vêtement aux 17 et 18e siècles ?

Quel est leur état de conservation dans les coffres des paysans du Vannetais ?

Dans l’étude des inventaires après décès de la région de Vannes, les notaires insistent soigneusement sur l’état de conservation des vêtements possédés par les défunts. Ils utilisent un vocabulaire très précis pour identifier la qualité du vêtement qui est évalué financièrement et qui a vocation à être vendu, cédé en partage ou transmis.

Même si, au 17e siècle, la mort frappe à tous les âges, on peut supposer que les inventaires après décès ne concernent que des adultes de plus de 25 ans.

Ils sont tous marié(e)s ou veuf(ves), car c’est dans ce cas uniquement qu’un inventaire après décès est nécessaire.
Le mariage intervient assez tard en Bretagne. La Coutume de Bretagne le fixe à 25 ans, et même si des dérogations nombreuses existent (les Dispenses d’âge), les paysans se marient un peu plus tard qu’ailleurs.

Les inventaires après décès qui sont réalisés concernent souvent des couples assez aisés qui ont eu le temps de développer leur patrimoine et de s’épanouir financièrement.

L’état des vêtements conservés dans les inventaires après décès

Le Neuf

Les notaires distinguent les pièces de vêtement neuves, ou toutes neuves, pour 6% de l’échantillon des actes que nous avons étudiés.
Les pièces de vêtements neuves sont donc assez rares.

Jeanne Ezanno possède en 1687 à Carnac « un manteau de petit [draps de] Londres gris tout neuf estimé 7 Livres 10 sols ». On peut donc considérer que le drap de Londres vient d’être acheté (voir articles toiles) et qu’un tailleur a réalisé le manteau en question, car — sauf exception, il est peu probable qu’un manteau si cher soit une réalisation paysanne ou personnelle.

L’usé et le mi-usé

Lorsque le notaire constate que l’état du vêtement est altéré, il utilise souvent les adjectifs usé, mi-usés. Ces vêtements composent presque 70 % de notre échantillon.

C’est le vêtement quotidien, usuel, qui compose la très grande majorité des coffres paysans. Pourtant, ce vêtement usé a de la valeur et est tout de même intégré dans l’inventaire et considéré par le notaire.

L’usure intervient sûrement assez vite sur tous types de vêtement : les vêtements de fêtes sont portés à peu près 1/3 du temps de l’année — soit une centaine de jours de fêtes chômées, dimanches, pardons, jours de danse et de fêtes… Les vêtements quotidiens sont portés les 2/3 restant de l’année, pour les travaux agricoles, domestiques.

Le Vieux, Mauvais, Fort Usé, Sale

24% des vêtements de notre échantillon sont désignés comme « Mauvais », « Vieux », « Fort usé » et « Sale » : ces mots désignent le stade avancé d’usure des vêtements.

Ces réflexions sur l’état des vêtements nous amènent à réfléchir à une notion essentielle : quelle est la longévité d’un vêtement ?

La durée de vie d’un vêtement paysan à l’époque moderne

Il est difficile de répondre à cette question, car les situations varient selon le niveau de vie de leurs propriétaires paysans, mais aussi en fonction des périodes de prospérité ou de crises agricoles.

Dans les archives, nous avons tenté de suivre les vêtements et leurs transmissions à travers le temps. C’est un exercice laborieux, car il faut trouver les deux inventaires après décès du mari et de la femme dans la même paroisse, rédigés si possible par le même notaire qui utilise les mêmes qualificatifs, et vérifier si l’on retrouve les même pièces de vêtements.
On peut considérer que le notaire, l’observateur, a le même seuil d’évaluation du neuf, de l’usé, du vieux ; qu’il décrira les mêmes couleurs, utilisera le même vocabulaire pour les pièces de vêtements.

Tous les types de vêtements résistent-ils au temps ?

Peut-on mettre sur un même plan les chemises utilisées quotidiennement et les pièces plus nobles du costume (brassières, vestes, jupes, manteaux) ?

Voyons ce que disent nos sources…

Le foyer composé par Michelle Matoch (épouse) et Pierre Corlobé (époux) est un couple de paysans riches, vivant à Saint-Colomban en Carnac. Ils décèdent à 3 ans d’intervalle, et leurs inventaires respectifs permettent de suivre le devenir de leurs vêtements entre leurs décès.
On sait que le couple a vécu 15 ans ensemble, il est fait mention d’un contrat de mariage en 1666.

Le patrimoine de l’épouse est de 750 Livres en 1681 et celui de son mari de 707 Livres en 1684. En 1681, Michelle décède et le notaire évalue ses vêtements et ceux de son trousseau (dont elle a hérité, qui lui appartiennent en propre) à 120 Livres. A la mort de Pierre — le mari, en 1684, 75 Livres de vêtements sont estimés, les siens et ceux de Michelle dont il a hérité.

Premier enseignement, le textile représente une part plus importante dans le patrimoine féminin.

Deuxièmement, on constate que la valeur des vêtements baisse en 3 ans. Sont-ils devenus usés, plus vieux, sont-ils conservés par le veuf, vendus ou donnés ?

Quelles pièces de vêtement pouvons-nous suivre sur une durée de 3 ans ?

« Un justaucorps et un haut de chausse de drap de Nantes gris estimé 5 Livres 10 sols » en 1681, devient « un autre vieux justaucorps de Londres, un haut de chausse de serge gris » estimé 24 sols ; il s’agit d’un costume complet d’homme mais sa valeur divisée par 4 en seulement 3 ans.

En 1681, Michelle possède « deux camisoles [vestes de femmes] de baguette rouge, l’autre blanche » qui deviennent en 1684 « une vieille camisole rouge usée, une camisole d’Incart, une camisole ». Là aussi, le vieillissement des vestes est mentionné.

32 chemises d’hommes appartenant à Pierre sont décrites en 1681 contre 30 en 1684. L’usure et le vieillissement interviennent donc assez rapidement en 3 ans seulement, selon la description du notaire.

On peut donc exclure l’idée que les paysans riches ne portent que des vêtements neufs et que les pauvres portent de l’usé, du vieux. Tous les paysans ont dans leur garde robe des vêtements usés, et rarement neufs, et même pour les pièces de vêtement de valeur (vestes, justaucorps).

Quels sont les vêtements conservés sur une durée de 12 ans ?

Autre exemple intéressant : le couple formé par Vincent — décédé en 1701 — et Perrine Gouzerche — décédée en 1713 à Carnac.

L’intérêt est de suivre les vêtements sur 12 ans.

« Six chemisettes de femmes bordées de velours » estimées 9 Livres deviennent « quatre chemisettes de laine de diverses couleurs et une chemisette d’Inquart » estimées 7 livres 20 sols ; 5 chemisettes survivent, une disparaît mais il est presque sûr qu’il s’agit des mêmes. Les chemisettes ont été portées par la veuve durant cette période mais elles survivent 12 ans en perdant seulement 20% de leur valeur initiale !

« Deux mantes vertes à femme estimées 10 Livres 10 sols » appartenant à Perrine en 1701 deviennent en 1713 « une mante à femme verte avec une autre estimées 3 Livres », et là nous sommes sûre qu’il s’agit de deux mêmes manteaux. Leur valeur baisse plus vite que pour les chemisettes, leurs prix sont divisés par 3 en 12 ans. Le manteau étant une pièce majeure du vêtement, sa longévité est importante.

D’après nos recherches, on peut donc conclure que les vêtements ont une durée de vie assez longue (10-15 ans), même pour les pièces usuelles comme les chemises.

Le vêtement usé est la norme dans les couples de paysans riches comme dans ceux plus modestes.

Le vêtement neuf est l’exception.

Les femmes conservent précieusement leur trousseau, qui se compose de leurs propres vêtements et de vêtements hérités d’hommes (père/frères).
Le textile compose une part plus importante du patrimoine féminin que masculin. Les veufs héritent du trousseau de leur épouse, qu’ils peuvent vendre ou conserver comme patrimoine.

Le vêtement qui dure une vie ?

Essayons de ne pas être influencé par les pratiques de conservation (réelles ou supposées) en cours aux 19e et 20e siècles.

Éloignons-nous de nos préjugés « naturels » et des idées considérées comme évidentes.

Henri Rivière, 1906 [Musée de Bretagne de Rennes, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

Tous les paysans en 1870 ne gardent pas leurs vêtements à vie, ne gardent pas ceux de leurs parents sur 3 générations, ils conservent parfois les vêtements sans les porter, ils réutilisent les textiles anciens pour créer de nouveaux vêtements, ils vendent ou donnent aux mendiants les vêtements usés. Il existe donc de très nombreuses situations.

Mais le mythe du vêtement unique qui — dure toute une vie — n’est pas confirmé.

Aux 17e et 18e siècles, toutes les pièces même modestes sont vendues, ou transmises et conservées par les héritiers après la mort. Le défunt est inhumé dans un linceul.

On imagine que ces vêtements et matières ont plusieurs vies, ils se transforment ; de jupes deviennent vestes ou gilets, etc…

La garde robe paysanne évolue en permanence.

Aux 19e et 20e siècles, alors que le défunt est inhumé avec son costume, seules quelques pièces remarquables sont conservées par la famille (tabliers particulièrement brodés, vestes avec des boutons), les pièces communes sont habituellement détruites ou disparues.

François Hippolyte Lalaisse, vers 1843 [MUCEM, Marseille, cité par le Dictionnaire du Patrimoine Breton]

Vers 1920, le groupe familial ou paroissial se concentre sur quelques « beaux objets » costumes de fêtes qui incarnent la richesse de la commune ou de la famille.
Geste et habitude qui ont contribué à transmettre l’idée suivante : quelques pièces majeures composent un « costume » de fête : celui que l’individu a porté et conservé toute sa vie — le gilet du grand-père conservé pieusement-plus ou moins efficacement d’ailleurs-dans une armoire.

Il y a donc une évolution, un changement très important dans le rapport des individus et du groupe aux vêtements entre les années 1650 et 1900.

La notion de costume de fête n’existe pas aux 17e et 18e siècles, la tenue portée lors de moments importants étant vraisemblablement similaire à la tenue du quotidien, mais avec des pièces de meilleure qualité.

Ce ne serait donc qu’aux 19e et 20e siècles que les Bretons se font réaliser une tenue spécifique aux grandes occasions, un « costume de fête ». 


Citer cet article : Mouret S. (2018). Le neuf, l’usé : vie et usure du Vêtement aux 17e et 18e siècles. Blog Culture(s) de Bretagne [en ligne]. Mise à jour le 14 octobre 2018. URL : https://www.bretagnes.fr/cultures-bretagne/vie-usure-et-transmission-du-vetement-aux-17e-et-18e-siecles

Using Format