Existe-t-il des modes vestimentaires bretonnes aux 17e et 18e siècles ?
October 14, 2018Comment les observateurs contemporains perçoivent-ils les vêtements bretons aux 17e et 18e siècles ?
Peut-on parler de modes, de giz, comme pour les 19e et 20e siècles ?
Existe-il une cohérence paroissiale, c’est-à-dire un uniforme ou costume distinctif permettant d’être identifié comme Alréen ou Quimperois ?
Plusieurs éléments nous amènent à penser que les paroisses ont déjà une identité vestimentaire forte aux 17e et 18e siècles. Nous allons étudier plusieurs sources différentes :
En 1741, dans son dictionnaire Français-Vannetais, Cillard de Kerampoul cite le dicton : « Cent pays, cent modes, cent paroisses, cent églises ». On suppose qu’un tel dicton est coutumier, ancien ; qu’il fait référence à une situation antérieure et admise communément.
Autre source, en 1770, dans un interrogatoire de mendiants, l’officier de la juridiction d’Auray décrit leurs vêtements : « Margueritte Jaffré, 35 ans, vêtue de guenilles à la mode des campagnes d’Hennebont ». « Marie Julienne Thomas, 30 ans, vêtue de guenille à la mode des artisanes d’Hennebont » [ndla : habitantes de la ville]. Il réalise une première distinction très locale entre commerçante, artisane de la ville et campagnardes. Cela signifie qu’il distingue deux types différents de costumes… de guenilles dans ce cas précis. Il voit des signes distinctifs dans les vêtements modestes de ces mendiantes qui l’amènent à en déduire leur origine géographique. Lorsqu’on lit les autres interrogatoires, on constate que l’officier témoigne d’un soin particulier à l’origine géographique des mendiants. Il affirme donc aussi qu’il existe une mode d’Hennebont face aux différences des autres régions de Bretagne.
Au pardon de Saint-Servais en 1785, une violente bagarre éclate. Des hommes de différentes paroisses s’opposent. Joseph Even, officier chargé du procès verbal décrit : « J’ai remarqué à leurs habilements que la plus grande partie de ceux qui commetoient ces grossièrétés étoit des Vannetais mais qu’il y avoit parmi eux des paroisses voisines, spécialement Trébivant, Mezle-Caraix, Plusquellec, Carnot, Plourach, Glomel, Kergrist-Moellou, Pestivien, Maël-Pestivien et d’autres, sans se mettre et se confondre dans le tumulte, excitoient et encouragoient ceux qui y étoient » (cité dans La Fête de la Sacré, G Provost, 1988). Cet extrait est particulièrement intéressant. L’officier détermine deux identités distinctes — les Vannetais — et les Autres. Ils repèrent dans la bagarre — donc bien distinctement — les paroissiens du centre Bretagne par « leurs habillements » qui sont donc identifiables pour lui, et différents de ceux du Pays Vannetais. Il est évident que ce processus d’appropriation d’une identité vestimentaire paroissiale est long, et donc, bien plus ancien que 1785. Pour qu’un groupe paroissial soit identifié, il faut qu’il porte des couleurs, des pièces de vêtements caractéristiques pour les Autres, les étrangers à la paroisse.
Enfin, celui qui nous propose l’analyse la plus fine de ce phénomène pour le 18e siècle est Ogée, dans son Dictionnaire de Bretagne en 1778 :
« On déclame beaucoup contre la variété de nos modes ; je ne déciderai point si c’est bien ou mal à propos ; j’observerai seulement que sur toute cette côte de Bretagne [ndla : Quiberon], il n’y a pas deux villages dont le costume, surtout pour les femmes soit semblable : leur habillement et leurs coiffures, qui ne sont pas toujours de bon goût, n’en sont pas moins chers. Les marchés des villes voisines, où affluent les habitants de ces côtes, offrent, en ce genre, un spectacle très bizarre et varié. La fortune ne les fait pas encore quitter leur costume et la seule différence entre les habits de la femme d’un colon riche et d’un colon moins opulent consiste en ce que les uns sont en soie quand les autres sont de laine, mais tous sont de même forme ».
* Premier enseignement, Ogée établit que « la variété des modes bretonnes » est un sujet de discussion déjà connu et réputé en 1778. Peut-être une spécificité bretonne ou basse-bretonne ;
* Deuxièmement, il affirme que chaque village a un uniforme paroissial distinct. Il insiste sur l’exotisme des vêtements, couleurs, matières, coiffures de la côte. Les échanges commerciaux intenses avec l’Europe du Sud, le Golfe de Gascogne, les Indes doivent donc faire se concentrer, sur la côte et dans les marchés des tissus rares, bizarres pour un observateur et différents de ceux vus dans l’arrière pays ;
* Troisièmement, il insiste sur l’identité vestimentaire des femmes. Il exprime là vraisemblablement une tendance de la mode européenne. Les femmes peuvent se permettre des expressions vestimentaires ostensibles alors que les vêtements masculins perdent en originalité. Dans la mode européenne, les costumes des hommes sont plus riches et originaux que ceux des femmes au 16e siècle. La tendance s’inverse aux 17e et 18e siècles ;
* Quatrièmement, il affirme que seule la richesse des matières textiles distingue les « colons » riches, paysans qui louent des terres à un seigneur, des paysans plus modestes, alors que les formes et couleurs sont les même. Nous avons également constaté cela dans nos recherches sur les inventaires après décès.
Mais arrêtons nous un instant : qu’est-ce qu’un colon dans le Vannetais ?
Le système de la tenure — parcelle de terre louée par un seigneur à un paysan — est dominant en Basse Bretagne et dans le Vannetais aux 17e et 18e siècles ; on parle de domaine congéable. Le tenuyer (colon) exerce donc des droits considérables sur la terre qu’il loue. Nous ne développerons pas ces aspects techniques du droit foncier d’Ancien Régime et renverrons le lecteur à T.J.A. Le Goff, Vannes et sa région au XVIIIe siècle, 1989.
Pour résumer, le colon n’est pas propriétaire des terres cultivées (qu’il loue à un seigneur) mais uniquement de ce qui est construit dessus (maison, granges…), ce qui lui donne en pratique une aisance et des droits supérieurs à ceux des paysans dans les autres régions françaises. Il est donc plus attaché à sa terre, à sa paroisse.
Une hypothèse s’impose : ne pouvant être propriétaire de sa terre, il investit dans le bétail et dans le textile, valeur refuge de l’époque, si l’on peut dire. Les vêtements, les draps constituent un capital en cas de décès, ils sont aussi le miroir de sa richesse et de sa réussite.
Peut-être devons-nous chercher la variété et l’intérêt porté aux vêtements par les paysans bretons dans cette forme de propriété de la terre et de mode de cultures ?
Les termes laboureurs, tenuyers, colons font référence à cette société rurale qui matérialise sa richesse par le vêtement.
Certaines recherches historiques sur la consommation d’alcool et de vin en Bretagne reprennent ce principe. Le vin, plus taxé que dans les autres provinces, est un moyen d’affirmation de la richesse et d’expression d’opulence. Sa consommation prend un sens social, communautaire.
Pour le 17e siècle, seules des recherches plus fines sur des paroisses distinctes nous permettront de confirmer notre hypothèse.
Mais notre bilan est le suivant : le processus de diversification des modes vestimentaires est antérieur au 18e siècle. Il est concomitant — selon nous — au développement de l’industrie des Toiles de Bretagne aux 16e et 17e siècles. L’attachement au textile accompagne, à cette période, le paysan qui s’affirme par les matières, les couleurs et les formes variées de son costume paroissial. Il perdure au 19e siècle, où les giz, les modes sont encore très nombreuses et déclinent avec la disparition du mode de vie paysan au début du 20e siècle.
Tout un champ de recherches passionnantes à venir !
Citer cet article : Mouret S. (2018). Existe-t-il des modes vestimentaires bretonnes aux 17e et 18e siècles ? Blog Culture(s) de Bretagne [en ligne]. Mise à jour le 14 octobre 2018. URL : https://www.bretagnes.fr/cultures-bretagne/existe-t-il-des-modes-vestimentaires-bretonnes-aux-17e-et-18e-siecles